Friday, January 19, 2007



Fais pas ton Jean Gabin!

"Le Prestige"; de Christopher Nolan.

Londres, au début du XXème siècle. Alfred Borden, dit "Le Professeur" et Robert Angier, dit "Le Grand Danton" sont deux illusionnistes hors pair.
Le premier est un technicien surdoué, le second possède un art consommé du spectacle .
L'un comme l'autre veut devenir le magicien le plus doué de sa génération.
Leur compétition, au départ amicale, va vite tourner à l'obsession et prendre un tournant tragique tant pour eux que pour leur entourage.

Disons le tout de go, Christopher Nolan ("Memento", "Insomnia" et plus récemment "Batman Begins") est avant tout un styliste monstrueux.
Une sorte de Tim Burton, en moins baroque et en plus cérébral...
Son film est donc d'abord un véritable régal pour les yeux.
Pas une scène, pas un cadre n'est construit au hasard. Tout est minutieusement mis en place pour créer une sorte de spectacle total, dans lequel il y a toujours quelque chose à voir, même dans les recoins les plus reculés de l'écran.
Le soin apporté aux décors, aux costumes, aux accessoires et même à la musique (en dehors de la faute de goût finale incarnée par cet abruti péteux de Thom Yorke sans doute là pour faire genre) donne à l'ensemble un caractère à la fois ultra-crédible et à la limite du surréalisme.

Le scénario n'est pas en reste, qui va de rebondissements en brouillages de pistes, jetant autant de poudre aux yeux du spectateur qu'il n'y a de réels tours de passe-passe à l'écran.
Ce qui finit par provoquer une sorte d'agréable sensation de tournis: on ne sait plus qui a battu qui, qui a joué un sale tour à l'autre, qui est finalement le vainqueur, le perdant, lequel est le bon, lequel est peut-être un salaud...
Qui est qui et surtout qui trompe qui, finalement?
Et c'est peut-être là aussi la limite d'un film qui, au détour de multiples flash-backs et retournements de situation, finit parfois par perdre un peu son public en cours de route.
Et ce en dépit d'un double twist final véritablement étonnant.

Mais là où le film va plus loin, c'est en ce qu'il propose une véritable réflexion sur les dangers de la représentation, de l'illusion et de la manipulation de l'image.
Qu'il brosse aussi le portrait de deux hommes que le désir de pouvoir, de reconnaissance et, finalement, d'immortalité entraine à leur perte.
Qu'il donne enfin à réfléchir sur le cinéma et le spectacle eux-mêmes, opposant modernisme et artisanat, Jules Vernes et Méliès face au frères Lumière à un moment ou le monde lui-même franchit un cap important de son histoire, comme l'illustre parfaitement le personnage et les inventions de Nicola Tesla (et en filigrane de son rival Thomas Edison), personnage-clé de cette gigantesque et splendide supercherie.

Les acteurs sont au diapason de ce véritable tourbillon sensoriel, Hugh Jackman (habité comme jamais) et Christian Bale (fiévreux comme toujours) en tête, malgré les présences non négligeables de Scarlett Johansson (qui doit pourtant aller au charbon pour rattraper un rôle de faire-valoir au départ pas très glorifiant), Michael Caine (comme toujours magistral dans son rôle désormais habituel de mentor, d'homme de l'ombre), Andy Serkis (très drôle en espèce de variante de Boris, le serviteur bossu du baron Frankenstein) et même Piper Perabo (dont le personnage - crucial - est pourtant encore plus sacrifié (au sens propre ici) que celui de Scarlett).

Mais évidemment - et que l'on m'accuse de subjectvité ou de parti pris je n'en ai cure - la véritable friandise au milieu de cette déja impressionante fournée de talents c'est bien entendu la performance de Sa Délicate et Parfumée Altesse Sérénissime, le Grand Mufti David Bowie dans le rôle de l'inventeur slave Nicola Tesla (seul personnage "réel" du film et ce n'est certainement pas anodin) qui, dans un rôle totalement central, véritable pivot de l'intrigue, livre une interprétation d'une finesse étonnante (léger accent russe, enfin, croate, petite voix atône et maniérée mais surtout gestuelle incroyable: ce type fait passer plus de choses dans un battement de cil ou un frémissement de lèvre que n'importe qui d'autre en dix minutes de gesticulations stériles. Et qui a dit que ça ne pouvait pas servir d'avoir un passé de CON DE MIME, finalement?). Un vrai délice d'autant plus précieux qu'il est limité à a peine quatre apparitions...

Bref, cet amalgame de talents qui aurait pu noyer "Le Prestige" et le transformer en un gros brouet trouble et indigeste finit au contraire par en faire un objet hors-norme, à la fois blockbuster bien ancré dans son temps (après Harry Potter, la mode est aux films d'illusionistes victoriens, comme le prouvera bientôt "L'Illusioniste" - tiens donc - avec Edward Norton), film d'auteur narrativement torturé et bizarrerie fantastique post-moderne!

Et c'est peut-être tarte à la crème mais c'est tellement vrai: ça en devient un véritable tour de magie!

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