Saturday, January 27, 2007


Fais pas ton Jean Gabin!

"Truands" de Frédéric Schoendoerffer

Claude Corti, 50 ans, est une sorte de parrain parisien. Tous les trafics, toutes les combines passent par lui. Son immmense paranoïa couplée à une propension à l'ultraviolence ont été érigées en système et lui permettent de contrôler tout son monde.
Franck quant à lui est un braqueur et un tueur indépendant, travaillant uniquement en duo avec son ami Jean-Guy. Il tient farouchement à son indépendance et a toujours refusé de travailler pour Corti, dont il a pourtant toute la confiance.
Un jour, Corti tombe et en prends pour trois ans.
A partir de ce moment-là, tout commence à se dérégler.

Schoendoerffer, Frédéric est donc le fils de Schoendoerffer, Pierre, cinéaste entre-autres du "Crabe-Tambour" et de "La 317ème Section" (dont Magimel regarde un extrait à la télé durant un passage du film). Un cinéaste qu'on pouvait presque qualifier de militant.
Bien que ses points de vues sur les Guerre d'Indochine et d'Algérie ne soient pas exempts d'ambiguïté, il faut quand même saluer la qualité documentaire de ses films.
Pierre Schoendoerffer peut mériter le respect.
Frédéric Schoendoerffer, malgré les qualités évidentes de son premier long "Scènes de Crimes", mérite juste qu'on aille le trouver pour lui balancer des gobelets de pisse dans la gueule.

On lit et on entend dire partout que "Truands" a été conçu pour être une sorte de "Microcosmos" dans le milieu du grand banditisme.

C'est juste un film racoleur, clinquant, ultraviolent jusqu'à l'écoeurement, mysogine jusqu'au delà de la honte, vulgaire et laid.

D'accord on n'est pas obligé de faire tout le travail pour le spectateur, on n'est pas obligé de le prendre par le main, de lui montrer les choses du doigt, de souligner pour qu'il comprenne. D'accord on peut au contraire lui montrer les choses telles qu'elles sont, froidement et sans point de vue et lui laisser faire le travail. Faire confiance à son intelligence pour qu'il se dise: oui, ce qu'on me montre-là, c'est horrible. Ces hommes sont des monstres. Des choses pareilles ne devraient pas exister.

Mais alors il faut le faire soi-même de manière un tant soit peu intelligente.

Ne pas emballer son film dans une sorte d'esthétique glamour qui rend tout ces sales types beaux, leurs environnements luxueux et chatoyants, leurs femmes magnifiques, leurs bagnoles superbes et leur mode de vie digne d'être envié par le premier des bredins.

Soit on ne prend aucun recul on joue à fond la carte du premier degré et on réalise un vrai docu-fiction.

Soit on réalise un bête film de gangster et si justement le but est de dénoncer le comportement de ces hommes "qui sont des monstres" on prend un peu de recul, on en adopte un, de point de vue.

Tout ce que "Truands" ne fait pas.

Le film est tellement complaisant dans son ultraviolence (la fameuse scène de la perceuse dont on sait moins qu'elle est suivie d'une double énucléation. La sodomie du pauvre "cousin Johnny" à coups de bâton de chaise pour cause de dette impayée. Sans compter les multiples crânes qui volent en miette, étalant leurs contenus sur les murs) qu'il en devient douteux.
On se croirait confronté à un pur exercice de voyeurisme.
Schoendoerffer n'a même pas l'intelligence de comprendre (comme l'on fait avant lui des gens comme Haneke, Kitano ou Johnny To) que sa fameuse violence ne sera que plus glaçante et efficace si elle est filmée hors champ.
Là, on a juste l'impression d'avoir affaire à un voyou qui a trop vu "Scarface" et n'en a retenu que les mauvais côtés.
Tu te souviens de ce qui lui arrive à Tony Montana à la fin, coco?
D'ailleurs, "Truands" est truffé de ce genre de références (la perceuse qui renvoie à la tronçonneuse de "Scarface", justement. Un enterrement vivant réminiscent des "Affranchis") mais mal digérées et surtout mal régurgitées.
Pour tout dire, bêtement "chiés".

La mysoginie crasse dans laquelle baigne l'ensemble (TOUTES mais absolument TOUTES les femmes du film sont des putes et traitées en tant que telles, c'est à dire en morceau de viande) est peut-être encore plus affreuse.
On me rétorquera encore que "c'est fait exprès", que "c'est pour montrer que ces mecs sont comme ça". Qu'ils traitent vraiment les femmes comme ça...
D'accord mais, là encore, en l'absence absolue de point de vue, de regard de la part du réalisateur on finit juste par croire qu'il cautionne ces attitudes, rien de plus.
La séquence ou Caubère/Corti baise dans les chiottes avec la (vraie) porno-star Oksana en est un parfait exemple.
C'est filmé en tout point comme un vrai film de cul (avec les "Oh oui, c'est bon!" et les "T'aimes ça, salope?")!
Pour le "réalisme quasi-documentaire" on repassera, merci.

On ne parlera même pas du racisme latent et de l'homophobie sous-jacente, ce serait trop facile et puis ça va, n'en jetez plus, la cour est pleine!

En dehors de ces considérations purement "morales", le film en lui-même est bancal, même d'un point de vue purement cinématographique.
Toute la première partie du film (avant l'incarcération de Corti) n'a pas d'histoire: il s'agit juste d'une succession de vignettes creuses montrant comment ces gens "vivent".
Scènes de violence, scènes de cul, scènes dans un hôtel ou dans une boite ou les gars "profitent" de ce qu'ils ont gagné (alcool, came, putes) et puis ça y est, on recommence.

Et encore, et encore.

La seconde partie (après l'incarcération) devient légèrement plus intéressante car s'y installe un léger suspense et s'y dévoile toute l'amoralité de ces personnages, cachée derrière un léger verni de "code d'honneur".

Mais...
Et alors?
So what?
Il ne s'agit finalement que d'une histoire de trahisons, de vengeances et de règlements de compte au cours de laquelle tout le monde s'entretue pour prendre la place du boss, maintenant hors service.
Rien que l'on n'aie vu des milliers de fois ailleurs et en bien mieux.
Que Schoendoerffer viennent nous parler de "dimension shaekespearienne" à propos de ça, c'est carrément une insulte à l'intelligence.

Qui plus est le film est confus, multipliant les personnages aux noms souvents similaires et aux trognes interchangeables, aux motivations floues, aux petits trafics vagues, le tout filmé de nuit (ben évidemment, faut bien faire "genre").
Ca rend la compréhension parfois difficile, surtout sur la fin, lorsque tout s'accélère.

On peut aussi lui reprocher d'expédier des scènes-clés (comme l'élimination de Jean-Guy, personnage pourtant central du film) avec une désinvolture qui frise le je-m'en-foutisme.

Le casting est évidemment au diapason : totalement foutraque et mal branlé.
Que Béatrice Dalle, toujours aux avants-postes de ce qu'il ne faut pas faire, se retrouve au générique de ce truc, quoi de plus normal, après tout.
Idem pour Olivier Marchal que j'ai entraperçu au détour d'une émission de télé "culturelle" et qui m'a tout l'air d'être une fameuse tête de con.
Magimel, ça fait longtemps qu'on sait qu'il fait à peu près tout et n'importe quoi (de Chatilliez à Chabrol en passant par Haneke, Jean Becker et même Gérard Corbiau - sans oublier "Les Rivières Pourpres II" - vous parlez d'un plan de carrière).
Paradoxalement très sobre, il trouve peut-être ici l'un de ses meilleurs rôles.
Que cela suffise à sauver le film, ça c'est une autre histoire...

Petite incongruité au passage: la présence de l'humoriste Tomer Sisley (celui qui fait du "stand-up" et qui y tient beaucoup parce que c'est tout à fait différent de ce que font les trois autres milliards de gogols habillés en noir et seuls en scène que l'on croise dans "Les Grands du Rire", le week-end sur France 3) dans un contre-emploi de voyou musulman somme toute assez maitrisé.

Mais le sommet du top de l'excellence de la Médaille en Chocolat de Celui qui est le Plus Fort revient haut la main au pourtant généralement excellentissime acteur de théatre Philippe Caubère!
Dans le rôle de Claude Corti, le parrain en train de perdre son empire, l'ancien camarade de jeu d'Ariane Mnouchkine (pour qui il fût un "Molière" de référence, ne l'oublions pas) en fait tellement des tonnes, et de manière permanente - c'est-à-dire même quand il est sensé ne rien faire - que ça en devient du plus haut comique.
Ca frise le génie!
Il faut s'imaginer Roger Hanin dans "Le Grand Pardon" rencontrant le Jack Nicholson des "Sorcières d'Eastweek" et couchant avec Al Pacino sous coke le tout sous le haut patronnage d'un Louis de Funès en fin de carrière ("La Soupe aux Choux", style) pour se donner ne fût-ce qu'une faible idée de la hauteur de l'affaire!
Pour trouver quelqu'un qui surjouerait plus que ça faudrait clôner Smaïn avec le Didier Bourdon de "Madame Irma"!
Et même comme ça, je suis pas sûr qu'on approcherait encore du résultat.

Donc voilà... Que dire d'autre? Que dire encore? Que dire? Que dalle...

Si ce n'est que s'il vous prend l'envie de vous faire une toile un de ces soirs autant éviter comme la peste cette sous-merde fascisante et se dire que tout, même s'abrutir devant un "Julie Lescaut" ou le DVD de "Saw III" vaudra mieux que d'aller donner ses sous pour
ça.

Ce qui n'est pas peu dire!

1 comment:

astucefreud said...

bonne bonne bonne analyse de l'objet du délit. Effectivement, Caubère pour qui j'ai la plus grande admiration, sincère, m'a accablé de gène au cours de son interprétation dans ce film ... quand on connait son talent, on ne comprend pas, c'est simple, "2001" est plus facile à expliquer que cette incompréhensible interprétation, ce jeu constamment inadapté.
Merci d'avoir pris le temps de faire cette critique, c'est la meilleure que j'ai lu jusqu'à présent.
Il faut tout de même aller voir ou se procurer d'urgence, le roman d'un acteur de Caubère, parce que ça c'est du talent à l'état brut (bon, beaucoup de travail aussi c'est vrai), excepetionnel à voir.